Marvel NOW!: The Superior Spider-Man: Tome 1


Scénarisé par Dan Slott

Cet article contient des spoilers.
Ces spoilers concernent The Amazing Spider-Man numéro 700 et la série The Superior Spider-Man.

Nous sommes le 26 décembre 2012, le numéro 700 de la série The Amazing Spider-Man paraît aux États-Unis, scénarisé par Dan Slott, un épisode qui a marqué l'histoire du Tisseur de manière culottée et relativement effroyable. Alors qu'un énième combat oppose Peter Parker (alias Spider-Man) à son ennemi de toujours, le Docteur Octopus, la conclusion de ce duel prend un tour inattendu. Par une habile machination, Octopus permute son esprit avec celui de son adversaire, et tous deux échangent leurs corps. Peter se retrouve dans l'enveloppe charnelle mourante de son antagoniste, tandis que ce dernier occupe le jeune corps en pleine santé de l'homme-araignée. Les dés sont jetés: le Docteur Octopus est le nouveau Spider-Man. Ainsi, à l'occasion de l'événement Marvel Now!, à savoir une remise à zéro des différents titres de l'éditeur, la série The Superior Spider-Man est lancée. Dan Slott reste le scénariste attitré du personnage, tandis que les dessinateurs Ryan Stegman et Guiseppe Camuncoli l'accompagnent au dessin. Exit le jovial Peter Parker, place à Otto Octavius qui, non content de voler la vie privée et publique de son ennemi, va tenter de le dépasser sur tous les points. En somme, devenir un Spider-Man bien meilleur. Un Spider-Man Supérieur.

Le premier tome de cette saga, disponible chez Panini Comics, comprend les épisodes 1 à 5 de la série. C'est un tome d'introduction, clairement, qui s'amuse à revisiter le quotidien de Peter Parker, sous le regard et le jugement acides d'Octopus. Dan Slott connaît le personnage, il va donc en dresser un portrait plutôt exhaustif, en mêlant habilement les phases d'enquête et d'action liées à Spider-Man, mais aussi les scènes dites tranche de vie associées à Peter. La mort est un élément récurrent des comics, mais celle de Spider-Man fut l'une des plus controversées de tous les temps, et ce pour plusieurs raisons. De une, parce que le personnage est le porte étendard des éditions Marvel, il est son incarnation même sur le papier. De deux, car la mort de cette icône s'accompagne du transfert d'âme opéré par Octopus: le corps même du personnage est littéralement possédé par un grand ennemi de l'univers Marvel. Certains y ont vu une perversion du personnage, et c'est une opinion tout à fait compréhensible. Cependant, il était certain qu'un jour ou l'autre Peter Parker allait revenir, une grande maison d'édition ne peut tout simplement pas éliminer de manière définitive l'un de ses personnages phares. De plus, l'intention de l'auteur de faire revenir le jeune héros est clairement affichée dès la fin du premier épisode, alors qu'apparaît la conscience de ce dernier. Dan Slott n'a jamais caché ce retour annoncé, ce n'est pas là le centre de son histoire, et tout le monde le sait. Alors, plutôt que de pester face à ce bouleversement, pourquoi ne pas accepter de se laisser emporter par une aventure dont les enjeux et les thématiques s'accompagnent d'un changement de point de vue salvateur ?


Dan Slott n'est pas un opportuniste. Ce changement d'identité (et d'approche narrative), a été mûrement réfléchi et préparé. Le numéro 600 de The Amazing Spider-Man, publié en 2009 et déjà écrit par Slott, présentait un Docteur Octopus vieillissant, auquel il ne restait plus que quelques années de vie. Ainsi, le personnage prévoyait de laisser sa marque sur le monde, en inventant une armée de drones très évolués. C'est ce qu'il accomplira des années plus tard, à travers le corps jeune et fort de Peter Parker. Mais alors que l'histoire aurait pu sombrer dans des abîmes de noirceur, il n'en est heureusement rien. C'est un Octopus nouveau, si l'on peut dire, qui anime les pages de The Superior Spider-Man, un Octopus marqué par la vie de Peter Parker et donc considérablement influencé par les actes d'héroïsme et de bonté dont a su faire preuve le jeune homme durant son existence. Dan Slott savait très bien que développer une histoire au cours de laquelle Octopus contrôlerait peu à peu la ville (ou le monde) sous les traits de Spider-Man serait rapidement rébarbative (en plus d'être peu intéressante). C'est ainsi qu'il a eu l'idée de faire du personnage un Spider-Man nouveau, qui cherche à dépasser sa précédente incarnation sur tous les points. Ce procédé scénaristique, en plus de permettre à l'auteur de développer une myriade d'intrigues, va permettre de faire le point sur le personnage. Et c'est un bilan loin d'être positif qui va se dessiner à mesure que défilent les pages.

L'auteur va ainsi insister sur les échecs passés de Spider-Man, de manière à réaliser un portrait loin d'être à l'honneur du personnage. Slott va écrire de manière à mettre de côté les réussites du défunt héros, voire de transformer les bonnes actions en mauvaises, sans jamais les altérer. Concrètement, lorsque Spider-Man jette en prison un dangereux criminel au lieu de l'abattre, le lecteur sait pertinemment que c'est un acte bon, dicté par la morale et soumis à la justice en vigueur. Pourtant, Dan Slott va faire passer ces réussites passées pour des échecs, car laisser un criminel en vie lui permettra peut-être de s'enfuir de prison dans l'avenir et de tuer des innocents. Ce retournement constant des valeurs et, finalement, des acquis, va rythmer le scénario à travers des épisodes efficaces parvenant à distiller un plaisir de lecture immédiat. Le tome s'ouvre sur la situation la plus banale qui soit: la nouvelle version des Sinister Six (des criminels) effectue un braquage. Spider-Man arrive alors, illustré dans une pleine page magnifique mettant en avant un nouveau costume, remanié de manière discrète à quelques endroits. Après quelques pages d'échanges musclés (deux pages pour être exact), Otto Octavius en a marre et abandonne le combat, avant de sauver la vie d'un policier, goûtant par là même la satisfaction d'effectuer une bonne action. Finalement, les Sinister Six parviennent à s'enfuir. En quelques pages seulement, en exploitant le cliché le plus éculé des histoires de super-héros, Dan Slott parvient à renverser la vapeur et à parsemer le récit de quelques surprises bien senties. Spider-Man qui est gonflé par un combat au bout de trois quatre coups de poings, c'est assez inhabituel pour le lecteur. Ce changement s'accompagne cependant d'un humour toujours aussi délicieux, comme cet échange entre le Tisseur et le policier auquel il a sauvé la vie:

- Je suis vivant, s'exclame le policier !
- Oui, lui répond l'homme-araignée, ravi d'avoir sauvé un spécialiste des constatations superflues.

La narration sera menée en deux temps, à la fois par les monologues d'Octopus, mais aussi à travers la conscience de Peter Parker, qui tente désespérément d'interagir avec le monde physique. Les interventions de Peter se font de manière progressive. D'abord totalement absent du premier épisode, avant d'apparaître juste à la dernière page de celui-ci, le personnage interviendra de manière de plus en plus régulière. Parfois, son absence sera justifiée par le fait qu'il explore les souvenirs du nouvel hôte de son corps, l'occasion pour le lecteur de découvrir des bribes de l'enfance d'Otto Octavius et, de ce fait, de s'attacher un peu plus au personnage. Car oui, tout est fait pour que le lecteur finisse par apprécier, ou du moins comprendre, ce Spider-Man supérieur. Encore une fois, cet attachement se fait de manière progressive, étant donné qu'en début de récit Octopus est lâche (sa fuite face aux Sinister Six) en plus d'être mesquin et mal intentionné (il veut posséder Mary Jane, l'amour de Peter). Cependant, peu à peu, Octopus tisse de nouvelles règles et une nouvelle manière d'appréhender cette vie. Il devient plus social (ou hypocrite), en s'acoquinant avec le maire, voire avec Jonah Jameson, le vil directeur du Daily Bugle, un journal qui décrédibilise Spider-Man aux yeux de la population. Dan Slott présente ces associations publiques de manière "évidentes" et "logiques", mais le lecteur investi ne s'empêchera pas de s'interroger sur la morale de la situation. Vaut-il mieux mentir et changer notre façon d'être pour obtenir les faveurs d'autrui, ou faut-il rester intègre même si la voie sera plus dure à suivre ? Quoi qu'il en soit, Spider-Man gagne en notoriété, voire en soutien, vu qu'il travaille désormais conjointement avec la police.


Là où Dan Slott frappe fort, c'est que ces questions morales n'empiètent jamais sur le récit. Elles existent pour qui voudra bien s'interroger sur la situation, tandis que la lecture du récit au premier degré fonctionne tout aussi bien. Par exemple, Octopus développe ce qu'il appelle des Spider-Bots, des petits robots équipés de caméras et faisant office d'alarmes, capables de détecter un danger et d'en avertir Spider-Man. C'est un moyen de faire avancer l'histoire, mais le lecteur impliqué se demandera si la sécurité vaut cette absence de liberté. Ces questions sont savamment distillées tout au long des épisodes, mais elles ne débouchent jamais sur des circonvolutions narratives qui pourraient alourdir inutilement un scénario efficace. Le scénario est d'ailleurs servi par des séquences d'action franchement réussies, comme les combats contre les Sinister Six, le Vautour ou encore les scènes liées au tueur connu sous le nom de Massacre. Ces phases explosives ne constituent pas du tout le cœur de l'histoire, elles sont la plupart du temps réglées en quelques pages, mais la tension et l'urgence qui découlent de ces situations sont à chaque fois très bien gérées. Heureusement, le ton de la série n'est jamais assombri bien longtemps, l'humour est même très bien intégré. Outre le petit dialogue retranscrit un peu plus tôt, il convient de citer les monologues de Peter, qui s'adresse à un Octopus qui ne peut l'enttendre, et ne se prive pas de lui envoyer des piques bien senties. Autre vanne bien trouvée, à l'encontre du célèbre Batman cette fois. En effet, un personnage va jusqu'à construire un projecteur illuminant le ciel, et dessinant sur les nuages un motif d'araignée, à l'image du Bat-signal présent dans la série Batman justement. Ici, le Spider-signal ne tient pas plus de quelques cases, Octopus ironisant qu'il faudrait être idiot pour utiliser un tel outil.

Au cours de ce premier volume, Spider-Octopus sera confronté à quelques ennemis basiques, tels que les Sinister Six, rapidement mis hors jeu, le Vautour, plutôt vicieux, ou encore le tueur en série Massacre. Si les premiers ne sont là que pour servir la présentation de ce nouveau Spider-Man, le Vautour amène avec lui quelques interrogations morales évoquées un peu plus tôt. En effet, le Tisseur découvre que le Vautour est accompagné de complices masqués, complices qui se révèlent être des enfants. Si Peter avait mis hors d'état de nuire le Vautour plus tôt, jamais aucun enfant n'aurait souffert de ses machinations perverses. En contrepartie de ces questionnements, Octopus n'hésite pas à blesser volontairement ses ennemis. Un comportement qui atteindra son paroxysme lors de sa confrontation avec Massacre, qu'il tuera d'une balle dans la tête. Ainsi, une forme de dualité prend naissance dans l'esprit du lecteur. D'un côté il peut concevoir la volonté de faire mieux que le Spider-Man précédent, de l'autre il assiste à ces scènes de violence dérangeantes, et est forcé de prendre parti. Dan Slott parvient, de manière admirable, à impliquer le lecteur dans son récit. Pour en revenir aux antagonistes qui perturbent ce premier tome, là aussi l'auteur a un plan dont il dessine les prémices. Au détour d'une page, le lecteur peut en effet rencontrer le Hobgoblin (tristement traduit par le "Super Bouffon" en France), qui annonce fièrement pouvoir lutter contre ce nouveau Spider-Man. Ceci préfigure des événements à venir, dans un futur tome de la série.

En ce qui concerne la vie privée de Peter Parker, Dan Slott va opérer un virage à 180 degrés et redéfinir socialement le personnage. Là aussi, l'auteur tente de dévaloriser le Peter auquel le lecteur était habitué, Octopus commentant allègrement la vie de son ancien adversaire. A l'inverse du scénariste J.M. Straczynski, qui au contraire resserrait habilement les liens qui existaient entre Peter, Mary-Jane et sa tante May (une histoire disponible dans le Marvel ICONS volume 1), Dan Slott va délibérément écarter Mary-Jane. Si Octopus tente en premier lieu de conquérir le cœur de la demoiselle, ce qui donne d'ailleurs lieu à d'excellents moments comiques, le personnage va finalement envoyer balader la jolie rousse. Cependant, un nouveau personnage va développer une relation privilégiée avec lui, il s'agit d'une étudiante de petite taille, prénommée Anna Maria Marconi. Dans ce premier tome, les deux personnages échangent juste un repas, mais leur relation sera amenée à se développer peu à peu. Au niveau social, Octopus s'inscrit en cours de physique chimie, de manière à décrocher un doctorat, signalant par là même que Peter n'a jamais été capable de briller dans ses études (malgré son emploi dans un laboratoire). C'est à l'université qu'Octopus retrouve un ancien collègue, le Docteur Lamaze, qui va lui dispenser ses cours. De cocasses dialogues vont donner vie aux échanges entre les deux personnages. En parallèle, Octopus fait tout pour être le neveu idéal aux yeux de tante May, mettant là aussi en évidence les tares et échecs du Peter original.


En ce qui concerne les dessins, ceux-ci sont dynamisés à travers une mise en page moderne et efficace. L'arrière plan des pages est d'abord blanc, durant les première planches, comme pour rappeler que Spider-Man est un héros lumineux, mais rapidement les fonds seront intégralement noirs. Il n'y a pas beaucoup de fantaisie dans la mise en page, celle-ci se concentrant sur une sobriété facilitant la lisibilité et le rythme. Les dessins des deux dessinateurs sont constants dans la qualité, grâce à des personnages très expressifs dont l'aspect est un savant mélange de réalisme et de cartoon. L'espace est très bien géré, grâce à la présence de décors détaillés et variés. Un subtil jeu de couleurs permet de développer des ambiances différentes mais toujours intéressantes. Enfin, les artistes n'abusent jamais des pleines pages, celles-ci sont relativement peu nombreuses, ce qui favorise leur portée et leur puissance évocatrice.

Le grand avantage de The Superior Spider-Man est son accessibilité. La lecture de la série précédente n'apporte tout au plus qu'un confort supplémentaire, car le récit actuel est entièrement autonome. Même le Docteur Octopus, le personnage principal de cette saga, voit son comportement modifié suite au bouleversement qui ouvre l'histoire. Il est peut-être un peu plus "héroïque", plus "bon", tout en ayant une conception de la justice et de la morale très différente de celle qu'avait Peter Parker. Dan Slott livre un récit à plusieurs niveaux de lecture, capable d'impliquer le lecteur et de le forcer à s'interroger sur les points évoqués durant l'aventure. Cette saga constitue à la fois l'excellente prolongation d'un univers en constante expansion, mais aussi une superbe porte d'entrée menant au personnage phare des éditions Marvel.

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