JoJo's Bizarre Adventure : Saison 2 - Battle Tendency


Scénarisé et dessiné par Hirohiko Araki

/!\ Cet article contient des spoilers.

Après une première saison au charme indéniable, qui mêlait avec une certaine irrévérence les arts martiaux à l'horreur gothique, Araki Hirohiko récidive à travers une nouvelle épopée qui va exploser sans vergogne les quelques limites que s'imposait l'auteur auparavant. Battle Tendency, c'est le nom de cette seconde saison, découpée en sept tomes français (publiés dernièrement aux éditions Tonkam), une saison qui va s'éloigner considérablement du contexte posé par Phantom Blood. Exit Jonathan Joestar, le premier rôle gentleman de la saison précédente, qui laisse sa place au fougueux Joseph, son descendant aux allures de pitre au bon cœur. Le récit délaisse l'Angleterre victorienne pour s'ancrer dans les années trente, aux États-Unis, avant de proposer au lecteur un voyage tout autour du monde, du Mexique à l'Italie. Enfin, l'auteur introduit de nouveaux antagonistes, les Hommes du Pilier, qui ne sont rien d'autre que les créateurs du masque de pierre autour duquel s'articulait le scénario de la première saison. Battle Tendency promet donc un renouveau complet, calqué sur l'exotisme et l'aventure, tout en se permettant des écarts qui justifieront le "bizarre" du titre de la saga.

Ainsi, il est possible de découvrir Battle Tendency sans avoir lu Phantom Blood, bien que le lecteur passe alors à côté toutes les références qui construisent, au fil des tomes, une mythologie en constante expansion. Mais pour celui qui lit cette seconde saison à la suite de la première, un autre problème se dresse alors : comment l'auteur peut-il proposer une nouvelle histoire, comment peut-il renouveler l'ambiance et les objectifs narratifs, tout en conservant le ton propre aux premiers tomes ? Hirohiko Araki trouve une solution finalement logique : construire une transition durant les premiers chapitres, avant de plonger dans plein pied dans cette seconde saison. Cette transition se construit en plusieurs temps, enchaînant les ruptures nettes et les renvois à Phantom Blood, le tout sans oublier de mettre en place les bases du récit. Et la base première, c'est bel et bien le nouveau personnage principal, le JoJo de cette saison, Joseph Joestar, petit-fils de Jonathan Joestar, mort à la fin de la première saison. Pour présenter le caractère de cet énergumène, qui traversera les saisons avec une aisance folle, redéfini et retravaillé à chacune de ses apparitions, Araki joue avec les attentes du lecteur, qui espère voir une prolongation de Jonathan. Pourtant, Joseph tire un trait sur les qualités de gentleman qui habitaient son aïeul, un fait mis en avant durant une scène au cours de laquelle le personnage n'hésite pas à traiter une jeune femme de laideron. De même, Joseph est moins élégant, il délaisse la bienséance au profit d'un humour constant qui contraste efficacement avec les pics dramatiques que l'auteur fait atteindre à son récit à plusieurs reprises. Il est l'auteur de quelques meilleurs gags de l'ensemble de la saga, comme le prouve sa technique de combat ultime (partir en courant), ou sa blague de mauvais goût en fin de saison trois. Immédiatement attachant, car habité par un sens de la justice sincère, et cachant un grand cœur, Joseph incarne à lui seul le changement d'ambiance opéré par Battle Tendency. L'autre transition est à chercher du côté de la menace de cette saison. Dans les cinq premiers volumes de JoJo, les protagonistes étaient confrontés aux vampires créés par le masque de pierre, dont Dio fut le représentant le plus redoutable. Désormais, les héros devront affronter les créateurs de cet artefact maléfique, des hommes figés dans la pierre. Pour passer le flambeau, Araki fait revenir un personnage secondaire de Phantom Blood, le dénommé Straits, qui bascule ici du côté des antagonistes. Nouveau vampire, Straits est le premier ennemi que devra affronter Joseph, dans les rues de New-York, à coups de sulfateuse ou de grenades explosives. Un premier combat violent, que parviendra à remporter le héros, avant que son ennemi ne lui annonce l'arrivée des hommes du pilier, beaucoup plus puissants que lui. Ainsi, en ramenant une figure de la saison précédente avant de l'éliminer et d'introduire la menace actuelle, le scénariste tire un trait entre les deux histoires, il déconstruit ce qu'il a créé pour développer et approfondir la mythologie mise en place dès les premiers tomes.




L'ambiance horrifique confortablement installée durant les premiers tomes vole elle aussi en éclats et évoque une certaine décontraction, qui s'évapore cependant lorsqu'Araki aborde les problématiques du racisme, à travers le personnage de Smokey, ou lorsque les nazis investissent le récit. L'exotisme est ici de mise, avec des décors plus variés et plus lumineux que ce que nous proposait l'auteur dans Phantom Blood. Les dunes du désert mexicain, les montagnes enneigées, la ville de Rome qui baigne sous le soleil, et d'autres endroits encore qui permettent un dépaysement constant. Le récit évoque clairement les plus grandes histoires du cinéma d'aventure, Indiana Jones en tête, tout en proposant régulièrement un humour à la limite de l'absurde, principalement grâce à son personnage principal (le passage durant lequel il veut infiltrer une base allemande en se travestissant, et ne comprend pas qu'on puisse le reconnaître, est juste hilarant). Ainsi, à la saga de Steven Spielberg, Battle Tendency emprunte les nazis, qui subissent ici le même traitement, il sont à la fois cruels et incapables. On y retrouve les mêmes péripéties, comme les aventures dans des lieux secrets, la découverte d'endroits improbables, l'infiltration d'un territoire ennemi, l'action débridée (voir la chute en avion et le moyen d'évasion des protagonistes, qui évoquent clairement l'introduction du Temple Maudit, de Steven Spielberg, 1984).

Si des personnages déjà présents dans Phantom Blood font leur retour, tels Speedwagon ou Erina, la part belle est offerte aux nouveaux protagonistes. Ainsi apparaît Smokey Brown, dès le début du récit, qui place Joseph dans une situation identique a ce qu'avait connu George Joestar, le père de Jonathan. Dans les premiers tomes de JoJo, George se faisait voler son anneau par le père de Dio : malgré tout, il annonçait alors aux forces de l'ordre avoir confié le bijou de son propre chef à Dario Brando. Dans Battle Tendency, la même chose se reproduit lorsque Smokey dérobe à la tire le portefeuille de Joseph, lequel aura la même réaction que son ancêtre lorsqu'il sera confronté aux policiers, corrompus et racistes. Ainsi, par cet écho scénaristique, Araki dévoile la bonté de son personnage, malgré son côté gauche et comique. Un autre nouveau protagoniste est introduit sous les traits de Caesar Anthonio Zeppeli, descendant du personnage éponyme de Phantom Blood. Mais au contraire de la relation qui unissait Zeppeli et Jonathan, une rivalité va naître entre Caesar et Joseph, les poussant à se dépasser continuellement. Caesar se bat à l'aide d'une technique tout à fait improbable, à savoir en utilisant des bulles de savon. L'auteur parvient cependant à dépasser l'aspect absurde de ce concept, en imaginant une quantité incroyable de manières d'exploiter ce talent. Bien vite, Joseph rencontre Lisa Lisa, une maîtresse de l'onde, guide autant spirituelle que physique qui devient rapidement une figure archétypale du mentor (et possède un lien de sang avec Joseph, puisqu'elle est sa mère). Évidemment, Araki réservera au lecteur quelques surprises de la part de ses personnages, que ces derniers distilleront au fur et à mesure de l'aventure. Enfin, il convient de présenter les antagonistes, dont un cybord nazi tout droit sorti d'une série Z, ainsi que les terribles hommes du pilier, incarnations de l'évolution parfaite d'un être vivant.




Les sept tomes de Battle Tendency se nourrissent de plusieurs influences claires, dont un aspect mythologique qui transpire tout au long du récit. Ce n'est pas un hasard si plusieurs morceaux de l'histoire renvoient à la Rome antique, et que les personnages doivent achever des travaux impossibles pour des humains normaux. Ainsi, c'est sur une île non loin de Rome que Joseph et Caesar seront soumis à la première véritable épreuve de leur périple, l'ascension d'un immense pilier continuellement couvert d'huile. Le pouvoir de l'onde, présente lors de la première saison, est ici exploité à travers de nouvelles trouvailles scénaristiques, Araki parvenant à régulièrement renouveler le potentiel et l'intérêt de ce talent associé à la lumière et la vie. Certaines scènes évoquent complètement les péplums, telle cette séquence de course de char saupoudrée de violence et de duperies. De son côté, l'équipe d'antagonistes renvoie évidemment au panthéon des dieux antiques, de par leur apparence (des corps impossibles aux allures divines, des tenues exotiques, des personnalités rongées par le dédain, des pouvoirs incommensurables), mais aussi par leur évolution tout au long de la saison, l'ennemi principal, Kars, devenant purement et simplement immortel. C'est pourquoi, au fil du récit, les ennemis sont de plus en plus évolués, Jojo devant se battre finalement contre un ennemi s'imposant comme l'incarnation même de la vie. Son premier combat l'oppose à Straits, vampire, agressif, guidé par son instinct, sorte de "nouveau-né". Ensuite, le héros affronte le dénommé Santana, le plus faible des hommes du pilier. Araki illustre la renaissance de Santana à travers une scène qui démontre sa rapide capacité d'évolution : il apprend rapidement à parler le langage de ses geôliers, il comprend le fonctionnement des armes à feu, etc... Viendra ensuite, un peu plus tard, Wammu, qui éprouvera des sentiments humains (et finira par aider Jojo avant de mourir), tandis que Kars s'avérera être une synthèse de toutes les cellules sur Terre, pouvant emprunter les capacités de n'importe quel être vivant. Afin de vaincre cet ennemi invincible, Araki ne proposera pas une conclusion mortelle au duel qui l'opposera à Joseph, au contraire, Kars vivra pour l'éternité, figé et errant dans l'espace infini. La vie en temps que malédiction. Cet échec s'explique en partie par le fait que s'il représente une forme de vie ultime, il est loin d'être parfait : il est par exemple lâche et traître, comme le prouve sa manie d'envoyer ses sbires se battre à sa place, ou la manière dont il bafoue toute notion d'honneur. En somme, l'évolution naturelle telle que décrite par Araki n'a aucun mérite si elle ne s'accompagne pas d'une évolution personnelle et spirituelle. Il faut noter que pour imaginer le pouvoir de Kars, l'auteur s'est basé sur la théorie de la récapitulation qui, pour résumer, évoque le fait que le développement d'un organisme, de sa naissance à sa maturité, passe par plusieurs stades représentant ses espèces ancestrales.




Face à Kars, entité vivante ultime, l'auteur imagine le personnage de Rudol von Stroheim, nazi cruel qui se sacrifiera cependant pour enrayer la menace représentée par les hommes du pilier. Pourtant, le personnage ne disparaît pas pour autant du récit, puisqu'il revient sous la forme d'un cyborg, c'est-à-dire un incroyable croisement entre l'Homme et la machine, quasiment artificiel. Araki oppose ainsi la nature (Kars) à la machine (Stroheim), bien que chacun de ces personnages incarne une évolution différente. Stroheim est un personnage complexe, dévoré par son idéologie, mais aussi poussé par un sens de l'honneur presque égoïste. Il ne rechigne pas à l'idée de sacrifier des innocents pour mener des expériences sur les hommes du pilier, tout comme il n'hésite pas une seconde avant de condamner sa propre vie pour sauver son pays. Son nom, von Stroheim, viendrait de l'acteur réalisateur austro-hongrois, Erich von Stroheim, tandis que le personnage a lui-même influencé le fameux Guile de la saga de jeux vidéo Street Fighter.

En ce qui concerne le dessin de l'artiste, Battle Tendency est une prolongation de Phantom Blood. Araki poursuit dans l'exagération des corps, masses de muscles incroyables, qu'il délaissera peu à peu une fois arrivé à la quatrième saison. Son sens du détail est toujours aussi présent, à travers son utilisation des décors, qui regorgent de détails parfois un peu clichés, mais qui permet une représentation spatiale de l'action satisfaisante. Araki joue avec les perspectives, les échelles et la morphologie, dans le but de recouvrir le récit d'un voile d'étrangeté qui recouvrera l'ensemble de la saga durant toutes les saisons. Le dessinateur ne se prive non plus d'aucune illustration des atroces blessures que subiront les personnages, le manga se permettant quelques élans gores ou dérangeants que là aussi nous retrouverons tout au long de la série. Il dessine des actions impossibles, comme lorsque les hommes du pilier se glissent dans les plaies de leurs victimes, et pourtant l'ensemble reste crédible, justement grâce à son travail sur l'ambiance. Un important travail est effectué sur les ombres, non pas portées, mais celles qui sont présentes sur les textures, comme l'atteste le soin apporté aux volumes des tissus ou des corps, via plusieurs techniques telles que les hachures ou les aplats.

La traduction des volumes édités chez Tonkam n'est cependant pas idéale en ce qui concerne les hommes du pilier. Il faut savoir que Hirohiko Araki est un passionné de musique, une passion qu'il insère régulièrement tout au long de son travail sur JoJo's Bizarre Adventure, à travers des références à des groupes de musique, chanteurs, musiciens ou chansons. Il nomme beaucoup de ses personnages, et plus tard des Stands qu'il créera, en hommage à ses goûts musicaux. Les hommes du pilier de Battle Tendency n'échappent pas à cette habitude : AC/DC, Santana, Wham! et The Cars, autant d'influences que le traducteur a décidé de laisser telles quelles. Les versions anglaises du manga voient par exemple AC/DC renommé en Esidisi, ce qui apporte un confort de lecture évident et évite au lecteur de sortir du récit. En effet, dans l'histoire, seul Santana est nommé ainsi par Stroheim, les autres hommes du pilier avaient déjà leurs noms bien avant leur découverte dans les années 30, aussi il est totalement illogique de voir un personnage s'appeler AC/DC, comme le groupe de musique, il y a des milliers d'années. En somme, c'est un triste choix de traduction qui gâche un peu l'immersion au sein de l'œuvre, heureusement réhabilitée par la réussite de la narration d'Araki et sa composition graphique exemplaire.




Battle Tendency développe habilement la partie mythologique de JJBA, en apportant des réponses aux interrogations laissées en suspens. Le parcours de Joseph et de ses compagnons est rythmé par d'incessantes joutes mortelles, que l'auteur dynamise à travers une utilisation intelligente de la géographie ou des terrains : les différents pays, enneigés ou ensoleillés, les zones aménagées comme à Rome, etc... C'est par la diversité de ces scènes d'action qu'Araki conserve un rythme qui ne faiblit jamais, sans oublier ses personnages immédiatement attachants, et les séquences émotionnelles plus rares mais toujours fortes. La mort de Caesar, la révélation de l'identité de Lisa Lisa, des points dramaturgiques essentiels dans la construction du récit, que l'auteur traite avec un sérieux et une intensité redoutables. Si Phantom Blood constituait une tragédie humaine gothique irrévérencieuse, Battle Tendency s'impose comme une grande Aventure, avec un A majuscule, proposant une succession de péripéties inventives et réfléchies qui repoussent sans cesse les limites de la normalité et de la grandiloquence.

Cliquer ici pour revenir à l'index