Beautiful Dreamer


Réalisé par Mamoru Oshii (1984)
D'après l'oeuvre de Rumiko Takahashi

Cet article contient des spoilers.

Il faut parfois savoir se délester de nos préjugés pour découvrir de nouvelles œuvres. Ainsi, Lamu, Beautiful Dreamer, réalisé par le maître Mamoru Oshii, est bien loin d'être un anime comme les autres. Mais avant les explications, une petite présentation s'impose. Un rapide tour sur Wikipédia nous informe que Lamu (titre original: Urusei Yatsura, c'est-à-dire "Les Gars Bruyants venus des Étoiles") est à la base un manga écrit par Rumiko Takahashi (Inu-Yasha, Maison Ikkoku, Ranma 1/2) et publié en 1978. Grâce à une galerie de personnages charismatiques et une variété de situations autant cocasses que touchantes, la série devient rapidement un énorme succès.

Tout commence lorsqu'un funeste jour, des extra-terrestres, les Onis, débarquent sur Terre en proposant à Ataru Morobishi, un petit gars choisi au hasard, un jeu sadique. Si au bout de dix jours il n'a pas réussi à toucher les cornes de Lum (Lamu en français), la fille du Roi, ce dernier saccagera la planète. Après un quiproquo, la Terre est sauvée et Lum décide de vivre sur notre planète en compagnie de son nouveau fiancé, Ataru. A partir de là, le lecteur suivra le quotidien plus ou moins loufoque de Lum et ses nouveaux amis, qui croiseront aliens, esprits et autres créatures mythologiques. On peut donc constater que le ton est assez léger, et destiné avant tout à un public assez jeune. Pourtant, suite au succès du manga, six OAV (c'es-à-dire des métrages se déroulant dans l'univers de Lamu) sont réalisés. Beautiful Dreamer, qui nous intéresse ici, est le second d'entre eux, et il est réalisé par Mamoru Oshii, qui a collaboré de près avec Rumiko Takahashi sur cette série. Le réalisateur va alors profiter de cette occasion pour ajouter des thèmes qui lui sont chers, et ainsi donner une touche plus personnelle à ce second OAV.


On peut diviser Beautiful Dreamer en deux parties : une première plutôt axée vers la comédie pure, les situations rocambolesques étant de mise, et une seconde plus profonde, dans laquelle les interrogations de Oshii refont surface. En premier lieu, l'auteur ne prend pas le temps de nous présenter les personnages, étant donné le format du film (OAV). Ce produit est sensé être réalisé pour les fans, cependant si comme moi vous n'avez jamais vu ou lu Lamu avant de regarder ce Beautiful Dreamer, vous ne serez pas perdu. En effet, les premières scènes se déroulant dans le collège nous présentent plusieurs gags et le spectateur dispose ainsi du temps nécessaire pour identifier les personnages et cerner à peu près leur caractère, mais aussi pour comprendre les liens qui les unissent, leurs sentiments les uns envers les autres, etc... N'importe qui peut donc visionner le film sans s'inquiéter d'être un peu perdu sans avoir vu la série originale, ce qui est appréciable.

Une fois la situation exposée, les enjeux sont mis en place, grâce à la découverte du fait que nos héros revivent sans cesse la même journée sans en garder le souvenir. L'ambiance devient alors un peu plus grave, limite paranoïaque. La légèreté s'envole au profit d'un certain malaise que Mamoru Oshii distille peu à peu dans l'histoire. Son éternel questionnement métaphysique entre en jeu. Les personnages et l'unives de Rumiko Takahashi deviennent alors les outils qui lui permettront de mettre en image ses obsessions incessantes. On retrouve ainsi des monologues tels que ceux présents dans Ghost in the Shell (autre travail du réalisateur), ou encore ces passages contemplatifs bouleversants et lourds de sens. Oshii nous interroge: et si la notion de temps était purement subjective ? Et si le temps n'existait que parce que l'Homme existe ? Et si demain n'existait pas ?

Attention, on ne délaisse pas pour autant l'univers de Lamu, des touches humoristiques sont placées de-ci de-là, disons seulement que l'aventure est ponctuée par ces scènes de réflexion qui nous font cogiter. Beautiful Dreamer n'est pas ce que l'on peut appeler un anime connu. Et pourtant, il est à la base de films qui seront réalisés plus de dix ans plus tard. Des morceaux entiers de Dark City, Matrix ou encore Un Jour Sans Fin sont déjà dans le film de Mamoru Oshii. Bien sûr ce dernier réutilisera certaines idées développées dans ce film pour ses longs-métrages suivants (Ghost in the Shell, Avalon et Patlabor par exemple).


Le point fort de Lamu, Beautiful Dreamer, est son ambiance. Entre théâtre et onirisme, Oshii nous transporte aux confins d'un univers onirique empreint d'une amertume aux relents mystiques. On y trouve déjà ses plans contemplatifs uniques. Il peut d'ailleurs se dérouler plusieurs minutes sans qu'il ne se passe rien qui ne fasse avancer l'intrigue. Par exemple, tandis que les personnages rentrent chez eux à la nuit tombée, ils traversent la ville étrangement déserte en voiture. Arrivés à un feu rouge, la voiture s'immobilise et le silence règne. C'est alors qu'une étrange fanfare arrive, jouant une mélodie aux sonorités asiatiques. Le spectateur reste cloué sur place et admire tout simplement la séquence. Oshii a le don de rendre ses séquences atmosphériques totalement hypnotiques. Impossible alors de ne pas ressentir un profond vide et de ne pas avoir l'estomac noué.

Un petit mot sur les personnages qui vivent cette aventure. Ils sont tellement nombreux que l'on est obligé d'avoir ses petits chouchous. Entre Lum et son caractère de vache (délicieux), Ataru et son sens des responsabilités quasi inexistant ou encore leurs camarades aux personnalités variées, vous aurez de quoi faire. Heureusement que l'abondance des persos ne perd pas le spectateur qui comprend toujours à peu près qui est qui. De plus, les séquences prennent pour acteurs principaux des personnages différents à chaque fois, ce qui permet d'adopter plusieurs points de vue mais aussi de ne pas semer l'ennui. Un bon point, donc.

Il est intéressant de savoir que la trame reprend en fait une histoire mythologique japonaise, la légende de Urashima Taro, qui un jour sauva une tortue. Cette dernière le conduisit au Palais du Roi des Dragons. Taro se maria alors avec la fille de ce dernier. Au bout de 3 ans, il décida de retourner voir sa famille. Mais une fois arrivé sur place, il se rendit compte que le temps avait passé beaucoup plus vite, et que seule une vieille femme se souvenait à peine de son nom. Et bien la tortue apparaît dans Beautiful Dreamer, elle traverse l'espace en supportant sur son dos le quartier dans lequel vivent Lum et Ataru.



Urashima Taro est un personnage fictif, issu d'un conte japonais. C'était un gentil pêcheur qui, un jour, remarqua trois enfants en train de maltraiter une tortue. De nature bonne et généreuse, le jeune homme s'interposa. Au lieu de punir les enfants, il leur proposa de prendre le fruit de sa pêche du jour, en échange de la tortue, ce qu'ils acceptèrent. Après s'être assuré que la tortue se portait bien, Urashima Taro remit la tortue à la mer, avant qu'elle ne parte vers le large. Le lendemain, au même endroit, le pêcheur vit arriver une tortue géante. Celle-ci se mit à lui parler, lui apprenant que la tortue qu'il avait sauvé la veille était une jeune princesse, et qu'elle souhaitait le remercier. Le jeune homme monta sur la carapace de la tortue, et ils partirent vers le palais de l'océan. La princesse avait adopté une magnifique forme humaine. Après l'avoir remercié et fait visiter son monde, la princesse, qui se nommait Otohime, lui proposa de passer la nuit au palais. Le jour suivant, Taro se sentait apaisé, il perdit la notion du temps et resta de plus en plus longtemps au palais de l'océan. Un jour, le pêcher désira rentrer chez lui. Avant de partir, la princesse lui donna une boîte, la Tamatebako, mais en lui demandant de ne jamais l'ouvrir. Puis il rentra chez lui, sur le dos de la tortue géante. Cependant, en arrivant sur la côte, il se rendit vite compte qu'il avait passé plus de cent ans sous les eaux. Abattu, il se recueilli sur la tombe de ses deux parents. Désespéré et déboussolé, il ouvrit la boîte d'Otohime, oubliant son avertissement. Un voile de fumée s'en échappa, et sa barbe se mit à pousser, tandis que ses cheveux blanchissait. Dans sa tête, la voix de la princesse raisonnait: "Je t'avais demandé de ne pas ouvrir la Tamatebako, j'y avais stocké les années que nous avons passé ensemble". On ne sait pas de quand date exactement ce conte, ni par qui il a été écrit.
Un dernier mot sur les musiques, comme d'habitude. Les sonorités au clavier peuvent sembler étranges à la première écoute, mais on s'y habitue finalement assez vite. Le silence joue aussi un rôle important, comme d'habitude avec Mamoru Oshii. On peut alors parler de petits bruitages et de mélodies simplistes, mais pourtant non dénuées d'émotion. Petit coup de coeur pour l'ending theme, résolument kitsch de nos jours, mais diablement entêtant).

Beautiful Dreamer mêle habilement le ton léger de Rumiko Takahashi aux digressions plus profondes et personnelles de Mamoru Oshii, le tout avec une grâce et un naturel implacables. Une oeuvre fondatrice d'une richesse surprenante et touchante, même si le poids des années commence à se faire sentir au niveau de l'animation. Grâce à un scénario qui se permet des envolées oniriques enivrantes et des personnages attachants, les réalisateurs nous rappelle que rêver, c'est désirer secrètement.

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