Godzilla & Mothra: The Battle for Earth


Réalisé par Takao Okawara (1992)

Cet article contient des spoilers.

La saga des Godzilla est si prolifique qu'il est inévitable que certaines créatures reviennent régulièrement d'un film à l'autre. C'est le cas de Mothra, le papillon de nuit géant déjà apparu dans le film du même nom, diffusé en 1961 et réalisé par Inoshiro Honda, créateur de Godzilla. Le film qui nous intéresse aujourd'hui réunit donc les deux monstres, au sein d'une aventure réalisée par Takao Okawara. Cet opus, sorti en 1992 met en scène une intrigue aux multiples ramifications se permettant d'aborder des thèmes d'actualité, tels que l'écologie ou le capitalisme, grâce à des accents fantastiques toujours bienvenus. Tout commence lorsqu'une météorite géante s'écrase en plein océan Pacifique, ce qui a pour effet de provoquer d'importants séismes sur l'île reculée d'Infant. Takuya Fujita, un aventurier joué par le malicieux Tetsuya Bessho, est engagé pour se rendre sur l'île, escorté par un agent gouvernemental qui s'avère être son ex-femme (Masako Tezuka, interprétée par Satomi Kobayashi). Un troisième larron rejoint le groupe en la personne de Kenji Andoh, le représentant d'une grande société joué par Takehiro Murata. Le trio va faire d'étranges découvertes, qu'il s'agisse d'une fresque mystérieuse, d'un énorme oeuf ou bien d'un petit couple d'extraterrestres, deux minuscules jeunes femmes appelées Cosmos.


Le film s'amuse à mêler les genres avec malice, le métrage débutant comme une parodie d'Indiana Jones. Toutes les références sont là, l'idole à retrouver, le temple qui s'effondre, les découvertes insensées ou bien la fameuse séquence du pont de bois qui s'effondre. Suite à ce premier chapitre orienté sur l'action et l'exploration, le métrage adopte un tournant significatif et s'oriente vers la comédie familiale. Cette seconde partie permet d'approfondir les personnages mais aussi de critiquer, sans subtilité, les méfaits de la pollution ou du capitalisme. Une dernière partie, un long climax, met en scène le combat dévastateur qui anime les monstres du film. Cette structure permet d'aérer la narration et de proposer autre chose que le sempiternel combat du bien contre le mal. Cependant, il faut signaler que l'ensemble de la trame scénaristique ne prend pas trop de risques, dans le sens où le film s'érige globalement comme un remake de deux opus précédents: Mothra premier du nom, cité un peu plus tôt, mais aussi Mothra contre Godzilla. De ces films, le scénario reprend quelques éléments comme les petites Cosmos, déjà présentes dans Mothra sous la forme de deux petites magiciennes enlevées et retenues en captivité à Tokyo. Là, elles appelaient Mothra à l'aide, ce que l'on retrouvera dans ce Godzilla & Mothra. Cependant, pour éviter de réaliser une simple redite, le réalisateur Takao Okawara introduit un troisième monstre sur les planches: Battra, le pendant maléfique de Mothra, chargé de punir l'humanité pour ce qu'elle fait subir à la Terre.

Le film met donc en scène trois monstres, qui vont s'entre-tuer pendant un bon tiers de la pellicule. Les spécialistes des effets spéciaux ont bien travaillé sur le design de ces créatures. Si les deux papillons de nuit apparaissent tout d'abord sous la forme de larves, ces dernières vont bientôt se métamorphoser et dévoiler la forme finale de ces insectes géants. Mothra adopte des traits délicats et un pelage qui évoquent sa douceur. Le monstre n'est pas menaçant physiquement et ressemble même à une peluche. C'est tout le contraire de son jumeau négatif, Battra, dont le corps disgracieux n'est pas sans rappeler un dragon. Son design plus agressif impose directement la créature du côté des méchants. Une grande partie du film se concentre sur les personnages et Mothra,.Godzilla et Battra, eux, disparaissant au cœur d'une faille sous-marine. Écarter les deux colosses permet de s'intéresser aux personnages et aux liens qui les unissent, tout en développant les thématiques du film.


Si ces thématiques ne sont pas des plus recherchées, elles ont le mérite d'être présentes. L'écologie et la Nature sont au centre du récit, par opposition à l'industrie et au capitalisme. Ce n'est pas un hasard si le premier chapitre se déroule sur une île inexplorée, d'ailleurs baptisée Infant. Un mot qui, en anglais, signifie "nourrisson". Ce n'est pas anodin lorsque l'on sait que c'est sur cette île que les personnages principaux découvrent l'œuf de Mothra, créé pour protéger la Terre. Les deux entités Cosmos annoncent de leur côté que la planète souffre, que cette dernière est vivante. Face à ce pan mystique et écologique, il y a le groupe privé Matsumoto, qui incarne évidemment l'avidité des hommes et le pouvoir de l'argent. Kenji Andoh, le représentant de ce groupe, claquera d'ailleurs la porte après une conversation houleuse avec son patron, dénonçant clairement les abus et les ravages causés à la nature au nom du bénéfice. C'est aussi l'Homme qui attisera le conflit avec Mothra, lorsque ce dernier se rendra à Tokyo pour retrouver les petites Cosmos, prises dans les griffes de la société, qui veut en faire des mascottes ! Le message est clair, la magie est clairement évincée au profit du développement du groupe. Les situations et métaphores sont certes directes, mais leur étalage tout au long du récit permet de faire passer le message sans jamais trop en faire.

Un autre contraste qui illustre la dualité qui existe entre la nature et la capitalisme se situe au niveau de la musique. Pour composer la bande-son de son film, Takao Okawara a fait appel au mythique Akira Ikifube, principalement connu pour avoir travaillé sur le Godzilla original. L'artiste signe ici une partition qui a parfaitement compris les enjeux du film. Des thèmes stridents accompagnent les apparitions des monstres en colère, tandis que les travaux d'ambiance s'intègrent à la perfection durant les scènes d'exploration de l'île ou des développements narratifs. Mais là où le monsieur s'est surpassé, c'est durant toute la partie consacrée à l'invocation de Mothra par Cosmos. Des chants ont été écrits pour l'occasion, des chants tout simplement magnifiques. Le talent du compositeur explose lors de la meilleure scène du film, la métamorphose de Mothra en papillon de nuit. Alors que la ville a connu le chaos total, Mothra érige un cocon sur les murs du bâtiment du Parlement Japonais. La nuit est tombée, les obus ont cessé de pleuvoir. Et tandis que la transformation de la créature s'opère peu à peu, les gens contemplent la scène, dans un silence et un respect total. Il se dégage un lyrisme exceptionnel de cette scène, intelligemment placée entre plusieurs séquences de combats. Le réalisateur a, je trouve, trouvé la bonne manière d'aborder Mothra, qui n'est finalement pas un monstre comme les autres dans la culture fantastique nippone. Là où des créatures comme Godzilla représentent un aspect néfaste de l'humanité (il est inutile de rappeler que Godzilla lui-même symbolise la menace du nucléaire), Mothra incarne la beauté de la nature. Un concept repris du Mothra original, mais diablement bien assimilé et mis en scène ici.


Au sujet de la mise en scène, celle-ci verse dans le classicisme, tout en se permettant quelques audaces dans le symbolisme. Ainsi, il est intéressant de suivre le positionnement de la caméra et de la construction du cadre lors des scènes qui mettent en avant Takuya et son ex-femme Masako. Au début du film, ceux-ci se retrouvent alors que le personnage principal est en prison. Les personnages sont bien évidemment séparés visuellement (et physiquement) par les barreaux de la cellule. Lorsque Masako quitte la prison en longeant un couloir, la caméra reste de l'autre côté du dit couloir, pour mieux appuyer le départ du personnage et la rupture entre le couple. Lorsque, plus tard, celui-ci se retrouve et explore l'île Infant, ceux-ci sont toujours séparés par le troisième personnage, Kenji. Ils seront proches pendant la nuit, autour d'un feu de camp. Au milieu du film, le couple se rejoint pour un dîner. A cet instant, chacun à un bout de table, la caméra se place à l'extérieur du bâtiment. Le plan présente un mur, de face, orné de deux fenêtres. Derrière chacune d'entre elles, les personnages apparaissent, une manière de signifier une fois encore la distance qui les sépare. Pourtant, pendant quelques instants, la caméra se place à l'intérieur du bâtiment, les personnages sont alors réunis sur le même plan, pour signifier qu'ils se rapprochent à nouveau, doucement. La fin les montrera bien entendu unis.

Le film parle aussi de la difficulté de communiquer. Une fois encore, c'est le couple principal qui illustre cette thématique, bien que le climax de fin abonde aussi en ce sens, mais nous y reviendrons. Au début du métrage, Takuya refuse d'aider le gouvernement, jusqu'à ce que son ex-femme lui annonce qu'il risque de croupir en prison pour plus longtemps que prévu. C'est en parlantr à son ancien amant que Masako débloquera la situation, alors qu'elle quitte les lieux. Les mots l'emportent sur les actes. Tout au long du film, Takuya fuit le jugement de sa fille, car il refuse de communiquer. Sa situation s'arrangera lorsqu'il affrontera le regard de son enfant. Aussi, c'est en chantant et donc en communiquant directement avec Mothra que Cosmos fera en sorte de s'échapper de sa prison. Enfin, lors du climax du film, Mothra parlera à Battra, lui faisant entendre raison. Les deux monstres s'allieront alors contre Godzilla. Le film illustre la puissance des mots face à la violence, certes de manière naïve, mais attendrissante.


Au niveau technique, il convient de signaler que malgré quelques ratés, le film impressionne parfois, notamment lors des scènes de destruction qui jouent sur les échelles. Des maquettes sont intégrées à des décors réels, tandis que des débris sont rajoutés en post-production. Il en résulte des scènes immersives, comme le fameux plan qui montre un temple s'effondrer au dessus d'une masse de gens qui fuient au premier plan. Cependant, certains effets sont un peu voyants, comme des câbles qui supportent les monstres volants, ou Godzilla lui-même, adoptant parfois un rendu étrange. L'autre point dommageable du film, selon moi, est la durée des combats (qu'il s'agisse du combat maritime ou final). Ceux-ci sont bien réalisés mais traînent un peu en longueur. Rien de bien dommageable cependant.

Godzilla & Mothra : The Battle for Earth est un film familial n'oubliant jamais de développer ses personnages, tout en proposant une diversité de tons bien trouvée. Le rythme se tient sur tout le film, bien que les phases de destructions dues aux affrontements peuvent sembler quelque peu répétitives. Cependant, il se dégage du film une ambiance délicieusement rétro et naïve, dans le bon sens du terme, soutenue par un enrobage réussi. Les effets spéciaux sont inventifs et efficaces, tandis que l'accompagnement sonore favorise l'immersion. Ce chapitre de la saga Godzilla s'érige en conte moderne dont la morale évidente n'empiète jamais sur le film lui-même. Il en résulte un opus terriblement attachant et généreux via la diversité des éléments qu'il propose.