Pacific Rim


Réalisé par Guillermo del Toro (2013)

Cet article contient des spoilers.

Au-delà de sa nature même de blockbuster, Pacific Rim ose le pari fou de cristalliser la rencontre entre deux cinémas que tout oppose. Ou comment marier le symbolisme et la subtilité d'un cinéma oriental qui peine à dépasser ses frontières, à la grandiloquence et au gigantisme propres à son voisin américain. Cette ambition démesurée repose sur les épaules du réalisateur mexicain Guillermo del Toro, connu pour son diptyque consacré à Hellboy ou son crépusculaire Le Labyrinthe de Pan. Avec Pacific Rim, Guillermo del Toro ne réalise pas seulement son kaiju eiga, il réalise le premier kaiju eiga américain.

Pour rappel, "kaiju eiga", en japonais, signifie littéralement "film de bête étrange", le plus fier représentant du genre étant le colossal Godzilla. Guillermo del Toro va, pour Pacific Rim, s'approprier les codes du genre, auxquels vont s'ajouter une dimension "too much" propre à la culture cinématographique occidentale. Le but avoué du réalisateur: revaloriser le kaiju eiga, revigorer un genre en pleine décrépitude, et ce même dans son pays natal. Il y a bien eu quelques tentatives américaines de surfer sur la vague, comme justement avec le Godzilla US de Roland Emmerich, qui n'a jamais réussi à saisir toute la portée du Godzilla original, ou bien Cloverfield, une tentative originale de raviver la flamme, mais dont l'approche s'éloignait là aussi des bases nippones du genre. Aussi, Pacific Rim assume clairement son statut de véritable kaiju eiga américain.


La faille du pacifique directement évoquée par le titre du film est en fait un portail sous-marin apparu en 2013 au fond de l'océan. Depuis, de gigantesques créatures baptisées kaijus (comme quoi, le film affirme clairement ses intentions) s'en extirpent régulièrement et ravagent les côtes. Afin de faire face à cette invasion, l'humanité a inventé de colossaux robots, les Jaegers. Pour piloter ces machines de guerre, il faut deux pilotes connectés par un lien neuronal, appelé la jonction. On remarque déjà une volonté de s'éloigner de tous les films de robots américains, pour se diriger vers une approche issue de la culture manga, à savoir les méchas, immenses robots pilotés par des humains. Par ce choix scénaristique, l'auteur humanise radicalement les enjeux narratifs, tout en abordant divers thèmes comme le lien entre l'homme et la machine bien sûr, mais aussi entre deux individus, via la jonction neuronale qui permet de partager à la fois les émotions du co-pilote, mais aussi ses souvenirs. En gros, les deux pilotes sont les deux hémisphères d'un cerveau qui donnent vie à une troisième entité: le Jaeger. A noter que le terme "Jaeger" est un dérivé de "jäger", un terme allemand signifiant "chasseur". La chasse aux monstres est déclarée.

Cette chasse ne sera pas le seul élément important du film. La première grosse confrontation intervenant relativement tard. Car del Toro l'a bien compris, présenter une grosse scène d'action sans enjeux n'est pas important. C'est tout le parcours émotionnel et le développement des personnages pendant la première partie du film qui injectent une puissance rare dans les affrontements suivants. Mais avant d'en arriver là, de nombreuses épreuves vont construire la psyché des protagonistes. Le prologue du film est d'ailleurs une sacrée leçon de cinéma, car en quelques minutes il arrive à résumer la situation mondiale, poser les enjeux, introduire le personnage principal et expliquer le fonctionnement des Jaegers. Suite à une confrontation, le frère du héros est tué, avant que le gigantesque Jaeger, impossible à manier, vienne s'échouer sur une plage. C'est un homme accompagné d'un enfant, probablement son fils ou petit-fils, qui découvre la carcasse du robot. L'enfant tient un jouet, qui contraste immédiatement avec l'énorme mécha, un jouet taille XXL. Cette courte scène créé un parallèle évident entre l'imaginaire qui nous accompagne tout au long de la vie, tandis que la réalité de celle-ci nous rattrape bien vite, via le personnage principal qui réalise la perte qu'il vient de subir. Le script est simple, mais d'une maîtrise absolue.


Dans Pacific Rim, c'est l'émotion qui dicte l'action, et non l'inverse. Loin des blockbusters décérébrés, Guillermo del Toro pioche plutôt du côté de Steven Spielberg, James Cameron ou bien sûr Hideaki Anno (créateur de Neon Genesis Evangelion, un manga étant pour beaucoup dans la genèse de Pacific Rim). Toutes ces inspirations sont comprises et digérées, elles aboutissent à un produit à la fois synthétique et novateur. L'intrigue de Pacific Rim est linéaire, simple mais solide. A l'instar du travail de James Cameron sur Avatar, le film prouve que la simplicité prévaut la complexité quand elle est bien faire. Les thèmes du métrage sont universels, sa construction et cohérente et son développement réfléchi. C'est cette simplicité qui décuple la portée des éléments les plus extrêmes et funs, comme lorsqu'un Jaeger se saisit d'un paquebot échoué pour frapper son adversaire avec. Le contraste entre la retenue et la grandiloquence forme un couple d'une efficacité redoutable.

Cette simplicité se retrouve à tous les niveaux, le film ne s'embarrassant jamais de développements fastidieux. Pacific Rim possède même des relents de chevalerie, dans le sens où le film ne parle pas de conspirations ni ne s'emploie à décrire les bureaucrates qui se cachent derrière les grandes décisions militaires. On n'assiste qu'au spectacle des chevaliers, les Jaegers, qui partent occire le dragon, les kaiju. Une fois de plus, la thématique est universelle, tout comme l'atteste la présence de plusieurs nations au sein du Shatter Dome, le gigantesque hangar qui abrite les Jaegers. Ceux-ci sont d'ailleurs les témoins d'une obsession du réalisateur, la mécanique. Engrenages et mécanismes donnent vie à ces monstres de métal, et ce n'est pas un hasard si seul le Jaeger analogique pourra sauver le monde, au détriment des Jaegers numériques. Ce n'est pas la machine et la technologie qui font gagner la partie, c'est le métal et le travail de l'Homme. L'humanité est clairement au centre du récit.


Cette humanité est symbolisée par le personnage de Mako Mori, qui cristallise à la fois les épreuves endurées par l'humanité mais aussi ce lien si fort que Guillermo del Toro tente d'instaurer entre l'Orient et l'Occident. Mako, incarnée par la talentueuse Rinko Kikuchi, est un personnage hanté par un traumatisme que le protagoniste principal va revivre via la jonction neuronale. Lorsqu'elle était enfant, Mako a subi les assauts d'un kaiju baptisé Onibaba, dans un Tokyo ravagé. Elle sera sauvée par Stacker Pentecost (joué par Idris Elba), qui adoptera alors les traits d'une figure paternelle pour Mako. Cette scène est cruciale pour plusieurs raisons. La première est la mise en scène elle-même, douce et éthérée, emplie d'une poésie contrastant avec la cruauté des événements. Les cadrages et mouvements de caméra sont magnifiques, tout comme la composition des plans, qui revêtent une beauté picturale incroyable. Cependant, la scène est aussi une métaphore sur l'Histoire et le traumatisme engendré par la bombe atomique au Japon.

Revenons en 1954. Le Japon se relève doucement des deux atrocités qu'ont été Hiroshima et Nagasaki, mais le choc est toujours là. Le premier film Godzilla ne sera pas seulement un film de monstre classique, il exploitera cette peur du nucléaire à bon escient et abordera de forts thèmes écologiques. Godzilla est lui-même une représentation palpable de cette puissance nucléaire que les japonais parviendront à dompter, car de prédateur il deviendra allié des humains dans les films suivants. Quoi qu'il en soit, ce traumatisme est désormais propre à la culture nippone, nous autres occidentaux pouvons faire preuve de compassion mais nous ne pouvons pas vraiment comprendre ni ressentir la douleur qui en résulte. Dans Pacific Rim, le personnage principal nommé Raleigh Becket (et incarné par Charlie Hunnam), plonge littéralement dans les souvenirs de Mako. Dans son traumatisme. Guillermo del Toro tisse alors un lien indéfectible, unissant métaphoriquement les deux cultures, au coeur d'une scène à la portée phénoménale. Au spectateur de comprendre que Raleigh, pourtant le personnage principal, n'est pas le héros de cette histoire.


L'attention portée à Mako et, dans une moindre mesure, à Raleigh, ont néanmoins une contrepartie, en l'occurence: les personnages secondaires. Tous ces protagonistes ont un rôle bien précis. Pentecost joue le rôle d'un père de substitution condamné, la perte de la figure paternelle, du mentor, poussant les personnages centraux à se révéler. Les pilotes étrangers prouvent l'union du monde, de l'humanité. Les scientifiques apportent la touche d'humour nécessaire au métrage, ainsi que deux approches de la science (à savoir la théorie et la pratique). Ou encore le trafiquant d'organes, qui dévoile comment l'économie s'organise depuis l'apparition des kaijus, et permet de s'approcher un peu plus du peuple qui vit en dehors du Shatter Dome. Malheureusement, tous ces personnages ne resteront que des clichés, certes réussis, mais qui jamais ne dépasseront leurs rôles. D'un autre côté, la dernière partie du film occulte ces entités secondaires, afin de proposer un climax parmi les épiques jamais vus sur un écran de cinéma.

La direction artistique qui accompagne le final débridé du film permet de différencier largement Pacific Rim des autres blockbusters. Les combats se passent de nuit sous un éclairage artificiel, qu'il s'agisse des projecteurs des hélicoptères qui bourdonnent autour des Jaegers, ou bien des néons fluorescents de la ville. Les couleurs contrastent avec la gravité de la situation, mais correspondent à la générosité du réalisateur et donc au plaisir qui ressort de la vision de telles scènes. Si les décors s'inspirent de véritables lieux, comme l'avenue centrale qui accueille un long duel, les infographistes ont triché pour doubler voire tripler numériquement la taille des lieux et permettre aux colosses de se mouvoir. Car c'est bien de colosses dont il s'agit, le film puisant d'ailleurs certaines de ses inspirations dans la peinture, telle la toile "Le Colosse" de Goya. Les chorégraphies sont alors adaptées aux terrains de jeux, et dévoilent des mouvements incroyables agrémentés de surprises euphorisantes. Découvrir les armes dissimulées dans les Jaegers (le sabre !) ou bien les pouvoirs des ennemis (le déploiement des ailes, qui mène à un combat dans l'espace !), autant de surprises qui entretiennent un intérêt majeur de la part du spectateur. La cerise sur le gâteau étant le final qui suit le combat sous-marin, dans lequel nous plongeons dans un monde parallèle !

Certains critiques ont qualifié Pacific Rim de creux. Une attaque injustifiée si l'on se met à regarder le film au-delà du spectacle. Comme nous l'avons vu, le film tisse un lien entre les cultures orientales et occidentales, mais il fourmille de détails évocateurs, pour peu que l'on prenne la peine de s'y attarder. Avant toute chose, le Pacific Rim est d'une cohérence visuelle étourdissante. Revenons sur le personnage de Mako, clairement le coeur du film. Lors de la scène flashback, Mako enfant est vêtue d'un manteau bleu, qui se repère facilement au milieu des teintes grises composant le décor en ruines autour du personnage. Lorsque nous retrouvons Mako Mori adulte, des années plus tard, celle-ci a teint quelques mèches de cheveux en bleu. Une manière de ne pas oublier. Et c'est un élément rouge, la couleur opposée du bleu, qui symbolisera sa volonté de combattre, comme nous le verrons un peu plus bas. Des exemples comme ça, qui ne sont jamais clairement mis en avant, le film e Guillermo del Toro en regorge. Citons par exemple le personnage russe de Sasha Kaidanovsky, joué par Heather Doerksen, qui adopte des gestes très protecteurs envers son mari, souvent en arrière plan de l'image, ce qui en quelques mouvements étalés sur une poignée de secondes permet de cerner immédiatement le caractère du personnage. De la même manières, jamais le film ne dévoilera un baiser entre Raleigh et Mako. Ce n'est pas leur amour qui prime, mais leur lien, leur union. Enfin, la scène durant laquelle la petite japonaise rencontre Pentecost, après que celui-ci ait tué Onibaba, est très iconique: elle présente le personnage masculin en contre-plongée (ce qui le place en hauteur), sous un halo de lumière. C'est une scène dont le traitement visuel, montrant le personnage comme un sauveur tombé du ciel, qui influencera la volonté de Mako de devenir pilote, un trait de caractère qui aura une utilité scénaristique. Un film creux ? Mais bien sûr...


Pour confier une identité musicale à Pacific Rim, Guillermo del Toro a fait appel aux talents de Ramin Djawadi, particulièrement connu pour être le compositeur attitré de la série Game of Thrones. Le compositeur signe ici une composition pêchue et nerveuse, agrémentée d'élans guerriers puissants. Disciple d'Hans Zimmer, Djawadi est ici accompagné de Tom Morello, guitariste du groupe Rage Against the Machine, qui apporte sa participation sur quelques thèmes, dont le principal. Ce dernier démarre fort dans l'aspect guerrier, avec des riffs de guitare efficaces, bientôt rejoints par des ajouts électroniques et orchestraux. Un très bon thème qui confère une identité forte au film. C'est d'ailleurs le seul morceau qui marque durablement les esprits, la plupart des autres compositions dévoilant des boucles atmosphériques utilisées pour dépeindre les ambiances, tandis que les scènes les plus équipes sont accompagnées par une réutilisation des notes du thème principal. L'accompagnement sonore reste très efficace pendant la vision du film, mais reste plus anecdotique lorsqu'il est écouté sans les images.

Lorsque le film plonge dans la passé de Mako, il y a un élément qui lie Mako Mori à Stacker Pentecost, un élément qui dénote clairement dans le cadre visuel du moment : une chaussure rouge. Cette chaussure symbolise la détermination de Mako, le fait d'avancer. L'essence même de Pacific Rim repose dans la représentation de cette petite chaussure rouge. Le film est le premier pas vers l'union de deux cultures qui peuvent se nourrir l'une de l'autre, dès le moment où elles parviennent à se comprendre. En plus d'être d'un ludisme stupéfiant, Pacific Rim incarne la réunion de deux mondes que tout oppose, à travers un message d'une pudeur et d'une honnêteté bouleversantes.